Lettre au 26 mars 2019 à la Direction

Communiqué de presse
26/03/2019

Mesdames, Messieurs,
L’avenir de Renault en France nous semble suffisamment préoccupant, sur le plan social et sur le devenir à moyen terme de sa base industrielle et d’ingénierie, pour vous interpeller aujourd’hui.
Ces dernières années, la CGT Renault est intervenue à maintes reprises auprès des dirigeants et dans les différentes institutions représentatives du personnel. Nous avons fait état des conséquences des accords de compétitivité, des plans stratégiques et de la convergence des ingénieries Renault-Nissan, qui, selon nous et pour de nombreux salariés, ont dévitalisé et handicapé l’entreprise plus qu’ils ne lui ont permis d’assurer son développement. Ils ont également contribué notoirement à l’explosion de la non-qualité.
Les récentes déclarations de M. Bolloré affirmant vouloir « accélérer la transformation du groupe, continuer à réduire les coûts fixes de 5% par an sur 3 ans, garder le cap du plan 2022, faire plus d'alliance, renforcer l’agilité de l’entreprise avec une réduction de 40% du temps de développement véhicule (passer de 5 ans à 3 ans) dans le cadre du programme baptisé Fast » nous semblent indiquer que les leçons n’ont pas été tirées du passé (et du présent). De plus, elles montrent la cécité chronique des dirigeants de Renault face aux situations vécues par les salariés, de l’ingénierie au réseau commercial.
Plutôt que de tirer les leçons des difficultés occasionnées par les plans stratégiques antérieurs et actuels, le top management de Renault entend aujourd’hui accélérer le processus mis en œuvre ces dernières années alors même qu’il génère toujours plus de non-qualité et altère fortement la capacité d’innovation de Renault.
Nous l’avons déjà évoqué en décembre dernier auprès de M. Bolloré et de l’Etat, il serait opportun, étant donné ce que vient de vivre l’Alliance, d’interroger le plan stratégique 2017-2022, de discuter d’un autre contenu pour l’horizon 2022 et de redessiner le contenu de l’Alliance en revenant notamment sur une convergence des ingénieries qui ne paraît ni possible ni souhaitable.

L’arrestation de Carlos Ghosn a mis en exergue le pouvoir démesuré d’un seul homme et, plus généralement, d’un top management fonctionnant sur un mode que nous avions qualifié de « Monarchique » lors de notre rencontre avec M. Bolloré (le 1er décembre 2015) et avec M. Carlos Ghosn (le 15 février 2016). Expression très largement employée ces dernières semaines dans et en dehors de l’entreprise.
Lors de ces entretiens nous avions déjà souligné la surdité des dirigeants, aveuglés par les seuls objectifs de rentabilité immédiats et toujours croissants, face aux problèmes structurels (précarité, prestation, plannings et délais intenables, sous-effectif...) et organisationnels (turn-over des personnels et des organisations...).
Dans cette perspective, la direction générale aurait intérêt à repenser le mode de gouvernance de l’entreprise pour permettre au plus grand nombre d’apporter librement son point de vue à partir de ses savoirs, de son expérience et de la réalité de ce que chacun peut faire, ne pas faire et voudrait pouvoir faire. Une stratégie nourrie de la diversité des savoirs des hommes et des femmes de l’entreprise est garante de leur investissement et d’une vision à long terme de Renault.

Dans de nombreux cas, les ingénieurs et techniciens ne sont plus en mesure de réaliser et de valider sereinement leurs hypothèses d’étude et de les tester. Aux problèmes de conception, s’ajoutent les sous investissements dans les usines, les pertes de compétences, de savoir-faire, de qualification et le turn-over incessant lié à l’explosion de la précarisation des emplois avec les intérimaires (près de 80% dans les usines de montage) et les prestataires.
En 2018, le coût des garanties a encore augmenté de 83 millions d’€ par rapport à 2017. Ainsi, depuis fin 2012, les coûts liés à la garantie client ont augmenté de 57 % (345 millions à fin 2012, contre 542 millions en 2018). Les provisions pour 2019 dépassent désormais le milliard d’€. Ces coûts de garantie ne prennent pas en compte les rebuts, les arrêts de production... dans les différentes usines du groupe mais aussi chez les fournisseurs et équipementiers qui renvoient aux mêmes carences fondamentales.
Cette situation n’est pas étrangère aux difficultés de ventes que connaît la gamme Renault qui, par rapport aux ventes du Groupe Renault (Dacia, Lada, Samsung...), continue à baisser sans retrouver le niveau des ventes d’avant crise.
Devant près de 150 dirigeants du Groupe le 11 septembre dernier, M. Bolloré avait déclaré « ...qu’il faut faire de bien meilleurs véhicules en particulier pour satisfaire les clients et pour avoir un niveau de défaut largement inférieur à ce que nous faisons aujourd’hui. C’est un défi majeur... ».
Nous partageons cet objectif mais prétendons qu’il ne peut pas être tenu en persistant à imposer une stratégie et un mode de management délétère pour les métiers. Au contraire, Renault doit maintenir et développer les compétences métiers qu’elle a encore et se réapproprier celles qu’elle n’a plus. Il y a nécessité de stabiliser les organisations, de se doter de personnel en CDI à la hauteur des besoins et de mettre un terme à la précarité et à la prestation.
Concernant les convergences avec Nissan, nous considérons qu’elles peuvent être un atout lorsqu’elles viennent en complémentarité des besoins respectifs des deux constructeurs. Mais lorsqu’elles visent « à supprimer des doublons », elles pénalisent l’autonomie nécessaire de Renault et finalement, appauvrissent les capacités d’innovation des deux entreprises. Stratégie qui fait fi des différences profondes d’approches des deux constructeurs dans le domaine de la R&D et de l’innovation.
Il ne peut y avoir d’innovation sans une maîtrise des métiers, une activation des ressources accumulées par l’expérience métier au cours de carrière, ce qu’une start-up n’est pas en capacité de faire. Renault doit sa capacité d’innovation à des règles et des savoirs propres à chaque métier qu’elle sait aussi réinterroger et pour, le cas échéant y renoncer.
Sans déboucher nécessairement sur une mise en oeuvre immédiate, les explorations diverses et variées de Renault restent dans la mémoire de l’organisation et de ses personnels et sont mobilisées lorsque nécessaire et c’est sur ce socle que se construit le succès de Renault. Or, si cette culture du doute et de la transversalité sont inscrits dans les gènes de l’ingénierie Renault, elle n’est pas celle de Nissan. C’est la raison pour laquelle la convergence est si souvent vécue dans l’entreprise comme un appauvrissement, voire une amputation.
L’autonomie des ingénieries de Renault et Nissan est garante de l’identité distincte des deux constructeurs, qui, à notre sens, constitue un atout majeur. L’existence « de doublons » n’est donc pas une charge, mais une source d’innovation, d’originalité pour Renault.
Enfin, au vu des délocalisations successives des Véhicules Particuliers telle que la Clio V fabriquée totalement en Turquie et Slovénie, à l’absence de visibilité sur le remplacement des modèles Scénic, Talisman et Espace et au manque de perspective concrète de la future gamme électrique, nous nous interrogeons fortement sur le devenir de l’outil industriel français de Renault.
Voilà donc synthétisés ici les points qui nous semblent nécessaires de discuter sérieusement avec l’ensemble des acteurs de l’entreprise (dirigeants, représentants des salariés) et le principal actionnaire qu’est l’État. Il y va de l’avenir de l’entreprise et de ses salariés. Raison pour laquelle nous interpellons à nouveau chacune des parties.

Cordialement.
Pour la coordination des syndicats CGT, Fabien Gâche


Communique CGT du 26 mars 2019 Communique CGT du 26 mars 2019